Accueil Economie « On est venus se faire un petit restau » : comment Monaco gère l’épidémie… et le « tourisme Covid » des Français

« On est venus se faire un petit restau » : comment Monaco gère l’épidémie… et le « tourisme Covid » des Français

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Dolce vita

Tous les ingrédients semblaient réunis pour une flambée épidémique : 38 100 habitants sur 2 km2, soit le record mondial de densité de population, augmentée chaque jour par un flux de 50 000 travailleurs français et italiens. Mais au premier abord, le Covid semble ne pas avoir de prise sur la principauté de Monaco : ce mercredi 2 décembre, le port est rempli de yachts, des grues de chantiers en pleine activité constellent la myriade d’immeubles qui hérissent le Rocher, où les restaurants font le plein dans un calme à peine troublé par l’échappement tonitruant des grosses cylindrées.

Entre le 28 février, date du premier patient recensé, et le 3 décembre, le micro-État a dénombré 630 cas, avec un pic de 42 personnes testées positives le 14 août, pour un total de 5 décès, dont 3 résidents. Avec 1,6 % de sa population touchée par le virus (0,69 % si l’on inclut les travailleurs « pendulaires »), Monaco, confinée comme la France entre mars et mai dernier, paraît pourtant épargnée au regard des 3 % de contaminés hexagonaux : du 9 au 15 novembre, le taux de positivité des tests monégasques frôlait les 5,5 %, soit trois fois moins que dans les Alpes-Maritimes. « 11 personnes sont prises en charge au Centre hospitalier Princesse Grace : sept patients dont cinq résidents. Par ailleurs, quatre patients dont deux résidents sont soignés en réanimation », énumérait le 2 décembre un communiqué gouvernemental.

Pourtant, les règles édictées pour faire face à la pandémie sont calquées, dans leurs grandes lignes, sur celle que l’on connaît en France : distanciation physique, gel hydroalcoolique disponible partout, masques obligatoires en entreprise et sur la voie publique pour toute personne de plus de cinq ans, hormis pendant une activité sportive. Omniprésente, la police veille au grain, bien aidée par un vaste réseau de caméras de surveillance : « On est extrêmement vigilants _», glisse à _Marianne un agent en faction, qui ajoute : « Tout contrevenant s’expose à une amende de 75 € à 2.250 € pour les multirécidivistes. »

Mises en quarantaine

Première différence avec la France, mais de taille : la politique de tests. Dès le 19 mai, le gouvernement lançait une campagne de dépistage gratuit visant l’ensemble de la population, travailleurs frontaliers inclus. Début juin, 43 % de la population avait effectué un test sérologique. Autre particularité : la mise en quarantaine obligatoire de tout individu présentant des symptômes ou testé positif, ainsi que « toute personne en provenance d’un pays autre qu’un Etat membre de l’Union européenne ». Ce qui, néanmoins, n’a pas empêché la deuxième vague, plus importante que la première. Il n’empêche, la situation, prise en main par une « cellule de suivi mixte » regroupant membres élus du Parlement et ministres, est restée sous contrôle.

L’explication ? « On s’assure que toutes les personnes qui viennent en Principauté ont une bonne raison pour le faire », assure un autre policier, prompt à évoquer la «_ nécessité de présenter un certificat d’employeur monégasque _». Du moins en théorie : le week-end du 7 et 8 novembre, la police monégasque a ainsi effectué 240 contrôles et 135 verbalisations. Une goutte d’eau dans un flot de circulation causant en temps normal de gros embouteillages. D’où la tentation de prendre quelques libertés.

« Les autorités ont fermé les yeux »

« On est venus se faire un petit restau », témoignent par exemple Jean-Louis et Évelyne, un couple de retraité niçois qui vient régulièrement à Monaco sans avoir à justifier sa présence. « Ici, on se sent en sécurité, s’enthousiasme Évelyne. « Il n’y a pas de délinquance, tout le monde porte un masque et respecte les mesures sanitaire_s », enchaîne son mari. Comme eux, les Français ont déferlé en masse, avides de profiter d’une sortie au restaurant : à l’inverse des bars contraints de fermer, ceux-ci restent ouverts. Les tables y sont espacées de 1 mètre 50 et le service sur place doit s’achever à 15 heures, pour reprendre entre 19 heures et 21 heures 30. Dîner permet donc d’échapper en partie au couvre-feu instauré à 20 h depuis le 29 octobre : il suffit en effet de réserver et de ne pas oublier son addition, voire une « attestation de déplacement dérogatoire » remplie et tamponnée par l’établissement que l’on quitte. « _En novembre, il a fait beau et toutes les terrasses étaient bondées. Ces ‘‘clandestins des restaus’’ ont fait grincer les dents de mes compatriotes _», glisse Jean-Pierre*, citoyen monégasque. « _Les Français venus dans l’illégalité ont d’abord bravé la règlementation française », précise à Marianne le gouvernement princier, qui vante sa « _capacité à gérer d’importants flux de circulation. _» Pour Jeanne (le prénom a été changé), serveuse, « _les autorités ont sans doute fermé les yeux. Il fallait bien essayer de compenser la baisse du tourisme de prestige. _»

De fait, les grandes fortunes venues des États-Unis, de Chine, du Golfe et de Russie manquent à l’appel. D’autre part, le Grand-Prix de Monaco de Formule 1, le Monaco Yacht Show, les congrès et autres événements générateurs de grosses retombées ont presque tous été annulés, tandis que l’absence des bateaux de croisières débordant de voyageurs se fait sentir. Si des touristes français et européens ont bien fait un détour par la Rocher, le compte n’y est pas.

C’est sans doute pour préserver une économie mise à mal (on dénombrait 8.000 emplois perdus en juin 2020) que le prince Albert, touché par le virus en mars dernier, optait le 29 octobre pour des mesures plus souples que le reconfinement annoncé la veille par Emmanuel Macron. « Depuis, mon salon de coiffure ne désemplit pas », se satisfait Ingrid (le prénom a été changé). En maintenant ouvert les commerces « non-essentiels », le gouvernement monégasque limitait ainsi la baisse de ses recettes, notamment sur la TVA. Seule éclaircie notable dans ce paradis de l’optimisation fiscale : le maintien du marché de l’immobilier. Mais plombé par des aides (100 % du chômage pris en charge pour les employés d’établissements fermés, forfait de 5.000 € par mois pour les petites structures), le budget de la cité-État accuse un déficit historique de 477 millions d’euros.

Moins de bolides

Illustration de ce morne climat, la place du casino de Monte-Carlo, d’ordinaire ceinturée de bolides flamboyants, n’accueille plus, ce 2 décembre, qu’une vieille Bentley, une petite Porsche et des SUV allemands. « Ce n’est plus aussi rutilant que d’habitude », confesse un serveur du Café de Paris, tout proche. Et pour le casino, rien ne va plus, comme pour son propriétaire, la Société des bains de mer (SBM), qui exploite également cinq palaces et une trentaine de bars et restaurants, employant près de 4.000 salariés. Sur le seul premier semestre, le chiffre d’affaires de l’hôtellerie-restauration a ainsi plongé de 60 %. Détenue à 64,21 % par le palais, la SBM a annoncé début octobre un « plan de restructuration » et des départs volontaires, mais aussi contraints. D’ordinaire plutôt accommodante, l’Union des syndicats de Monaco a évoqué « un accroc au principe de la vie démocratique », allant jusqu’à diffuser un tract virulent contre le projet d’allongement du temps de travail, porté à 10 heures. Pour l’heure, la mesure est bloquée. « On a voulu nous faire bosser plus, mais pour qui ? », s’énerve un salarié de la SBM.

Le constat d’une Principauté en mal d’habitués se confirme dans les boutiques du « carré d’or » de Monte-Carlo, où se concentre la crème des joaillers, maroquiniers, marques de haute-horlogerie et de haute-couture. « On passe le plus clair de notre temps à attendre le client, notre chiffre est plombé », souffle Paola (le prénom a été changé), employée dans l’un de ces prestigieuses enseignes. Pour croiser plus de monde, il faut plutôt se rendre du côté du quartier Fontvieille, où le centre commercial Carrefour et le Décathlon font davantage recette. L’effet de la crise ?

Si certains Monégasques ont déjà croisé la princesse Stéphanie dans les allées du Carrefour, on pratique ici depuis toujours une distanciation sociale bien davantage que physique. Serait-ce la clé de l’exception monégasque ? Différentes études, notamment celle menée par les économistes Paul Brandily, Clément Brébion, Simon Briole, Laura Khoury et titrée « Une maladie mal comprise ? », ont montré que les villes riches sont plus épargnées par le Covid que les villes pauvres. Une affaire de mode de vie ? « _Nous n’avons pas les problèmes de respect de la loi constatés dans d’autres territoires _», veut croire le Palais. Îlot fortuné s’il en est, la Principauté et ses habitants ont, de l’avis de notre interlocuteur Jean-Pierre, « _gardé leur sérénité légendaire. Monaco est un État policé et policier. Il y a certes des fêtes clandestines, mais tout se règle en coulisses. _» Même le Covid ?

Lire l’article original sur marianne.net

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