Accueil Environnement Entretien : Denis Allemand revient sur sa carrière à la tête du Centre Scientifique de Monaco

Entretien : Denis Allemand revient sur sa carrière à la tête du Centre Scientifique de Monaco

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Arrivé au Centre Scientifique de Monaco (CSM) en 1986, le Professeur Denis Allemand a quitté son poste à la fin du mois de décembre 2024, marquant la fin d’une carrière remarquable. En 38 ans d’engagement scientifique, dont 23 années à la tête de la recherche de l’établissement du quai Antoine 1er, il a jeté les bases d’une activité multidisciplinaire d’envergure internationale, placée au cœur des défis sociétaux de notre époque. Alors qu’il passe le flambeau à la Dre Sylvie Tambutté, elle-même issue du CSM, le tout jeune retraité revient sur les principes et les ambitions qui ont guidé le développement qu’il a conduit.

Mon arrivée au CSM a coïncidé avec le constat du gouvernement princier que certains travaux, comme la microbiologie et l’étude des pollutions marines, relevaient plus d’une activité de surveillance de l’environnement que de la recherche. C’est ainsi qu’une grande partie du personnel du CSM a été transférée dans un service de l’État créé pour l’occasion, l’Office monégasque de l’environnement. Il m’a alors été demandé d’élaborer et de mettre en place un programme de recherche novateur. J’avais alors proposé d’étudier un processus biologique peu connu, la calcification ou biominéralisation, en utilisant le corail rouge comme modèle d’étude. Avec l’arrivée de Jean Jaubert au CSM, et la création de l’Observatoire Océanologique Européen, nous avons élargi nos modèles aux coraux tropicaux, rajoutant la symbiose parmi nos thèmes de recherche. Rapidement, j’ai pu accueillir des doctorants, puis le groupe s’est élargi… jusqu’à nos jours où le CSM compte plus de 70 personnes. Aujourd’hui, le CSM a acquis, grâce à ses équipes, une reconnaissance mondiale dans ses domaines de recherche, tout en élargissant son champ d’action.

Lorsque j’ai pris la direction scientifique de l’établissement en 2001, nous étions dans une période difficile suite aux problèmes liés à la Caulerpe, où le gouvernement avait même envisagé de fermer le Centre Scientifique de Monaco. Il fallait redonner confiance au gouvernement dans les travaux du CSM. Suite à un recentrage sur la biologie corallienne, et au dynamisme de nos équipes animées par Christine Ferrier-Pagès et Sylvie Tambutté, le pari a été rapidement relevé, et nous avons pu rapidement recruter des techniciens pour aider nos chercheurs.

La diversification des activités est-elle liée aux évolutions que connaissent la planète et la biodiversité en termes d’impacts anthropiques ?

La difficulté du CSM est de pouvoir réaliser des travaux mondialement reconnus avec les effectifs d’une petite unité de recherche. Pour comparaison, beaucoup d’unités de recherche dans le pays voisin ont plus de personnel que le CSM, qui est pourtant l’institut de la recherche monégasque. Il a donc fallu trouver des niches, peu exploitées car présentant des difficultés. Grâce à l’expertise de nos chercheurs, à leur jeunesse et à la qualité de nos équipements, nous avons ainsi pu développer des recherches originales, dans lesquelles d’ailleurs de nombreux laboratoires se sont engouffrés par la suite. Et dans ce cadre, les choix ont été faits par rapport aux grands problèmes sociétaux, mais aussi aux intérêts particuliers de la principauté et du prince souverain. C’est ainsi qu’à Sa demande, nous avons organisé une mission scientifique lors de Son séjour en Antarctique, en janvier 2009. Devant le succès de cette activité, un département de biologie polaire a été créé en 2010.

Aujourd’hui, il est impossible de parler de santé environnementale sans parler de santé humaine, c’est le fameux concept One Health, une seule santé, et lors du déménagement du CSM, dans ses nouveaux locaux du quai Antoine Ier, un département de biologie médicale a vu le jour. Ses premiers travaux ont été axés sur des graves pathologies qui avaient malheureusement touchées des familles monégasques, et suscitées un élan d’émotion, pathologies fort heureusement rares, mais donc peu étudiées. Aujourd’hui, nos travaux ont permis de développer un premier essai clinique. Une autre problématique importante de notre monde moderne est le plastique. Nous avons là aussi, à l’interface avec nos différentes équipes, développé des travaux scientifiques de grandes qualités mais aussi publié un rapport avec de nombreux autres experts, qui a été très utile lors de la récente réunion de négociation à Busan en Corée du Sud, sur le traité mondial du Plastique. Autre domaine d’actualité dans lequel le CSM a été encore pionnier, celui de l’économie environnementale en particulier de la finance bleue. Notre experte dans ce domaine a fait partie des auteurs principaux des deux derniers rapports du GIEC.

Vous avez placé la recherche scientifique « made in monaco » sur la carte de la recherche internationale, qu’est ce qui en fait les spécificités ?

Comme je le disais précédemment, il s’agit d’une recherche d’excellence, mais également une recherche de niche sur des sujets encore peu développés et pourtant au cœur de l’actualité mondiale. Par exemple, lorsque nous avons mis en place la recherche en physiologie des coraux, celle-ci était totalement novatrice au début des années 1990. À l’époque, les coraux n’étaient pas étudiés en laboratoire mais uniquement sur le terrain. Cela a attiré à Monaco de grands noms de la recherche scientifique, comme le regretté Professeur Len Muscatine, qui a été, comme beaucoup d’autres par la suite, un visiteur assidu du CSM.

Une autre particularité de la recherche du CSM est de développer une recherche d’interface entre les différentes disciplines présentes dans nos locaux : dans les centres de recherche du monde entier, la recherche médicale se fait en Faculté de Médecine, la recherche marine ou polaire se fait en Faculté des Sciences, la recherche en économie en Faculté d’Économie, et ces différentes populations de chercheurs n’ont pas l’occasion de se rencontrer. Ici au CSM, l’ensemble des chercheurs utilise les mêmes laboratoires, participe aux mêmes conférences, discutent au même coin café. Cela a permis de faire émerger des projets d’interfaces très originaux où les différents chercheurs s’enrichissent mutuellement.

Parmi les multiples découvertes portées par les chercheurs du CSM, quelles sont pour vous les plus emblématiques ?

Je ne me risquerai pas à cet exercice tant les résultats obtenus durant plus de 35 ans sont nombreux. Il est difficile d’en isoler un par rapport aux autres, mais il est à noter que nos travaux ont été souvent pionniers. Nous avons été les premiers, par exemple, à étudier l’acidification des océans, alors qu’il s’agit maintenant d’un sujet faisant l’objet de très gros programmes internationaux. Comme je l’ai dit tout à l’heure, dans le cadre de la recherche biomédicale, nos travaux fondamentaux débouchent aujourd’hui, grâce à la Fondation Flavien, notre partenaire, sur une recherche pré-clinique en collaboration avec une équipe de l’Hôpital de la Timone à Marseille pour une cohorte de 36 patients, et qui doit durer 3 ans. Dans le domaine polaire, nos travaux, en collaboration avec le CNRS, dans le cadre des Observatoires du Vivant, sont à la pointe de la recherche.

A titre plus personnel, y’a t’-il une découverte qui vous enthousiasme plus particulièrement ?

Ce n’est pas directement d’une découverte que j’aimerais parler, mais de son application qui a permis de créer une Start-Up, Coraliotech, qui aujourd’hui a 4 salariés à temps plein. Au cours, des nombreuses visites que nous avons pu avoir au CSM, on m’a souvent posé la question de l’utilité de nos travaux. Mais, reprenant le célèbre Louis Pasteur, il n’y a pas pour moi deux types de recherche, la recherche appliquée et la recherche fondamentale, mais simplement l’application de la recherche fondamentale : « Il n’y a pas d’un côté la recherche fondamentale et de l’autre la recherche appliquée. Il y a la recherche et les applications de celle-ci, unies l’une à l’autre comme le fruit de l’arbre est uni à la branche qui l’a porté ».

La création de cette start-up montre clairement qu’à partir d’une découverte fondamentale, dans le cas présent, l’étude de la  formation du squelette d’un corail, et grâce a la collaboration entre les équipes de biologie médicale et de biologie marine, on peut arriver à la création d’une activité économique indépendante, particulièrement adaptée à l’écosystème monégasque dans le cadre de l’économie bleue. J’en suis particulièrement fier.