Accueil Economie [Dossier] Monaco et la transparence financière : une épreuve à surmonter

[Dossier] Monaco et la transparence financière : une épreuve à surmonter

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La Principauté confrontée à des exigences renforcées en matière de lutte contre le blanchiment

La Principauté de Monaco traverse une période délicate sur le plan international. Le 4 juin 2025, la Commission européenne a annoncé son intention d’inscrire Monaco sur la liste des juridictions à haut risque en matière de lutte contre la corruption et le blanchiment de capitaux. Cette décision, qui doit encore être formalisée par le Parlement européen, intervient dans un contexte de renforcement généralisé des standards internationaux de transparence financière.

Un contexte international exigeant

Cette évolution s’inscrit dans la continuité des recommandations formulées par plusieurs organismes internationaux. En juin 2024, le Groupe d’action financière (GAFI) avait placé Monaco sur sa liste de surveillance renforcée, tout en saluant les « progrès significatifs » réalisés depuis 2022. Le président du GAFI, Raja Kumar, avait alors encouragé la Principauté à poursuivre ses efforts pour « combler des lacunes stratégiques » dans son dispositif de lutte contre la criminalité financière.

De son côté, l’organe européen Moneyval avait dès janvier 2023 appelé à des « améliorations fondamentales » dans la supervision et les enquêtes financières. Ces recommandations s’inscrivent dans un mouvement mondial de durcissement des normes, auquel tous les centres financiers internationaux doivent s’adapter.

Des réformes ambitieuses déjà engagées

Face à ces défis, Monaco a démontré sa détermination en adoptant un programme de réformes sans précédent. Neuf nouvelles lois ont été promulguées en 16 mois, dont plusieurs en mars 2024, visant à renforcer l’Autorité monégasque de sécurité financière (AMSF) et l’arsenal de lutte contre le blanchiment.

En avril 2025, la Principauté a adopté une Stratégie Nationale et un Plan d’action 2025-2027 spécifiquement dédiés à l’amélioration de ses standards financiers. Ce plan, coordonné par un Comité placé sous l’autorité du Ministre d’État et du Conseiller-Ministre des Finances, témoigne de l’engagement du Gouvernement Princier à répondre aux attentes internationales.

Les efforts de conformité se traduisent déjà par des résultats concrets : 38 sociétés ont été sanctionnées ces deux dernières années et demie pour des manquements aux règles anti-blanchiment, illustrant la fermeté des autorités monégasques dans l’application des nouvelles normes.

Les défis de la mise en œuvre

Malgré cette volonté politique affirmée, la Principauté fait face à des défis pratiques dans l’application de ces réformes. La taille réduite du territoire monégasque rend parfois difficile le recrutement rapide de personnel hautement qualifié dans les domaines techniques spécialisés. Cette contrainte, commune à de nombreux micro-États, nécessite des solutions innovantes et une coopération renforcée avec les partenaires internationaux.

Les défis de la gouvernance dans un micro-État

L’une des faiblesses structurelles identifiées par les observateurs internationaux concerne les modalités de nomination aux postes stratégiques dans la Principauté. L’analyse révèle que de nombreux postes-clés sont occupés par des personnalités issues des mêmes cercles familiaux monégasques, créant une consanguinité administrative préjudiciable à l’efficacité des institutions.

Cette pratique de transmission héréditaire des responsabilités a créé un système où les liens personnels ou familiaux priment parfois sur les compétences techniques et l’expertise professionnelle. Le rapport de juillet 2024 du GRECO (Groupe d’États contre la corruption) souligne explicitement cette problématique en recommandant une plus grande transparence dans les nominations aux postes de direction et l’application de règles déontologiques strictes au plus haut niveau de l’État.

L’affaire de l’ancien administrateur des biens du Prince, Claude Palmero, constitue un exemple emblématique de ces dysfonctionnements. Cet expert-comptable de 67 ans avait directement hérité de son poste de son propre père, qui occupait déjà cette fonction sous le règne du Prince Rainier III. Cette concentration des pouvoirs financiers entre les mains d’une seule personne, pendant plus de vingt ans, sans véritable supervision externe, illustre les risques inhérents à ce système de cooptation.

Cette logique de reproduction des élites a eu pour conséquence, selon les analystes, de limiter l’accès aux responsabilités pour des profils potentiellement plus qualifiés, freinant ainsi le renouvellement nécessaire des compétences et des méthodes de travail. Elle a également contribué à créer un environnement où les conflits d’intérêts et les arrangements informels pouvaient prospérer, au détriment de la transparence et de l’efficacité administratives.

Un renouvellement administratif nécessaire

Face à ces constats alarmants, on observe depuis plusieurs mois une évolution dans la composition de l’Administration. Plusieurs collaborateurs de longue date ont été remplacés. Ces changements, qui auraient dû intervenir bien plus tôt, témoignent d’une prise de conscience tardive mais nécessaire des défaillances du système précédent.

Cette transition administrative, indispensable pour restaurer la crédibilité des institutions monégasques, doit permettre l’émergence de nouveaux profils sélectionnés sur la base de leurs compétences réelles plutôt que de leurs connections familiales ou relationnelles. L’enjeu est de taille : la concentration des responsabilités au sein d’un cercle restreint d’administrateurs avait créé une situation dangereuse où les pouvoirs financiers étaient centralisés sans contrôles suffisants. Cette organisation défaillante, qui privilégiait la proximité personnelle au détriment de l’expertise technique, a directement contribué aux dysfonctionnements actuellement pointés par les instances internationales.

Les recommandations du GRECO insistent à juste titre sur la nécessité urgente de diversifier les profils aux postes stratégiques et d’introduire une transparence totale dans les processus de nomination.

Un contexte judiciaire en mutation

Parallèlement, la justice monégasque démontre son indépendance et sa détermination à faire respecter la loi. Le procès actuellement en cours au tribunal correctionnel, impliquant d’anciens hauts fonctionnaires de police pour des faits présumés de corruption, illustre cette volonté de transparence et de justice, quelle que soit la position des personnes concernées.

Ces procédures judiciaires, loin d’être un signe de faiblesse, témoignent de la maturité des institutions monégasques et de leur capacité à se réformer. Elles s’inscrivent dans une démarche d’assainissement nécessaire pour l’avenir de la Principauté.

Des conséquences à relativiser

Si l’inscription sur la liste européenne constitue indéniablement un défi pour l’image de Monaco, il convient de rappeler que cette mesure n’entraîne pas de sanctions économiques directes. Il s’agit d’un signal d’alerte réglementaire qui impose aux établissements financiers une diligence renforcée, mais qui n’affecte pas les fondamentaux économiques de la Principauté.

Monaco conserve ses atouts structurels : sa situation géographique privilégiée, son expertise dans les secteurs du luxe et des services haut de gamme, sa stabilité politique et sa fiscalité attractive. Le PIB monégasque a d’ailleurs progressé de 5% en 2023, témoignant de la robustesse de son économie.

L’opportunité d’un renouveau

Cette période difficile peut paradoxalement représenter une opportunité pour Monaco de moderniser davantage ses structures et de renforcer sa position de place financière de référence. L’exemple des Émirats Arabes Unis, retirés de la liste noire européenne le même jour où Monaco y a été inscrit, démontre qu’une sortie rapide est possible avec les réformes appropriées.

La visite d’État du président français Emmanuel Macron, prévue le 7 juin, s’inscrit dans cette perspective de dialogue constructif avec les partenaires internationaux. Cette visite historique – la première d’un chef d’État français depuis 40 ans – témoigne de la solidité des liens entre Paris et Monaco et de la confiance dans la capacité de redressement de la Principauté.

Les réformes en cours, soutenues par une justice indépendante et des institutions solides, permettraient à Monaco de continuer à incarner l’excellence et la probité qui caractérisent traditionnellement la Principauté. Cette période de transition, bien que délicate, s’inscrit dans la vision à long terme d’un Monaco moderne, transparent et respectueux des plus hauts standards internationaux.

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