Le Nouveau Musée National de Monaco présente jusqu’au 2 mai 2022, l’exposition « Monaco-Alexandrie, le grand détour. Villes-mondes et surréalisme cosmopolite » à la Villa Sauber.
Monaco-Alexandrie. Deux villes sœurs en bien des points. Deux centres portuaires qui canalisent de puissantes énergies créatrices tout au long des XIXe, XXe et XXIe siècles. Ce sont ces deux cités qui forment le point de départ de l’exposition dense et didactique « Monaco-Alexandrie, le grand détour. Villes-mondes et surréalisme cosmopolite ». Née de la collaboration fructueuse des commissaires d’exposition Morad Montazami et Madeleine de Colnet (à l’initiative de Zamân Books & Curating) avec le Nouveau Musée National de Monaco, dirigé depuis peu par Björn Dahlström, l’exposition retrace les itinéraires pluriels d’artistes méridionaux de jadis et d’aujourd’hui. Le parcours est jalonné par plus de 300 œuvres issues des collections monégasques (NMNM, Palais Princiers, Institut audiovisuel de Monaco, Musée d’anthropologie préhistorique, Musée océanographique de Monaco) ainsi que de collections égyptiennes publiques et privées.
Surréalisme au soleil
Peintres, poètes, écrivains, sculpteurs, faiseurs d’images – qu’ils soient mondains ou électrons libres – partagent au cœur de ces deux métropoles une même ferveur artistique. Cette dernière est permise par des échanges transnationaux féconds et par la pénétration des concepts modernistes du cubisme, du futurisme et du surréalisme dans ces deux villes-mondes qui s’enthousiasment pour les expérimentations. Parmi les œuvres exposées, on y retrouve les noms attendus du surréalisme et de l’avant-garde : Giorgio de Chirico, Marcel Duchamp, Raoul Dufy, Leonor Fini, Stanislao Lepri, André Lhote, André Pieyre de Mandiargues, Bona Tibertelli de Pisis, ou encore Kees Van Dongen…
Mais les autres prodiges du bassin méditerranéen subjuguent tout autant. Quid de Mahmoud Saïd, père de l’art moderne égyptien ? Quid du surréalisme égyptien porté par des figures telles que Georges Henein, Ramsès Younan, Fouad Kamel, Ezekiel Baroukh, Mayo, Samir Rafi, Mohamed Naghi ou Joyce Mansour ? L’exposition fait la part belle à tout ce pan d’avant-garde que l’on doit aux artistes méridionaux, bâtisseurs de mondes et de modernités. L’exposition au NMNM a le mérite de sortir certains de ces artistes de l’anonymat dans lequel ils ont été injustement plongés.
La mer Méditerranée comme point d’ancrage
La Méditerranée comme zone aquatique sert de terreau – ou devrait-on dire « vase » – fertile aux artistes méridionaux. Dans une salle intitulée « Insulomania », les commissaires d’exposition et le NMNM ont regroupé non sans justesse des productions reflétant l’engouement autour de la faune et la flore légendaires des profondeurs : sirène, triton, pêcheur, animaux marins, coquillage. De part et d’autre des rives de la Méditerranéen, les autochtones se penchent avec curiosité vers la mer, ce monde fascinant des profondeurs qui transparaît dans les œuvres d’Ibrahim Massouda, de Salah Taher, d’Éric de Nemes, d’Antoine Malliarakis dit Mayo.
Dans d’autres espaces, le bestiaire polymorphe non seulement aquatique mais aussi terrestre et céleste est réinvestit par les artistes : en attestent les chimères de Mayo (Le Joueur), d’Abdel Hadi El-Gazzar (La Clé du temps), de Stanislao Lepri (Le créateur des anges), de Leonor Fini (Sphinge) et les fascinantes sculptures de Virginia Tentindo (Lionne des jours Terre-Lune).
Égypte, Chère Muse
Loin de l’Orient rêvé des peintres du XIXe siècle, l’exposition rend hommage aux artistes qui ont fait la modernité égyptienne. Les interrelations entre l’Égypte et Monaco sont visibles à travers des objets aussi curieux que précieux : une statuette d’Ibis offerte en cadeau diplomatique, des parures funéraires égyptiennes en coquillages, des photographies intimes du voyage de Kees Van Dongen en Égypte… Les imposantes peintures de femmes de ce dernier – qui s‘installa sur Le Rocher dès 1968 – cristallise les deux thématiques chères à Alexandrie et Monaco : la danse et la nuit. La fascination pour l’Égypte s’immisce bien évidemment sur les scènes de théâtre et les plateaux de cinéma au-dessus desquels semblent planés le souvenir de la danse envoûtante de Salomé et les airs d’Aïda.
Une nouvelle forme d’égyptomanie s’empare des cercles artistiques. Les locaux eux-mêmes représentent Alexandrie comme un bouillon cosmopolite où gravite des communautés diverses. Ce bouillonnement donne lieu à des scènes où règne la confusion (Marguerite Nakhla, Accident de voiture Place des Consuls (Alexandrie), 1949) ou de nuits endiablées (Mahmoud Saïd, Alexandrie nocturne). Plongée dans une obscurité théâtrale, une des salles du parcours est dédiée au monde du spectacle : dessinateurs, décorateurs et costumiers des arts de la scène tels que Leonor Fini, Kees Van Dongen, Lothar Schreyer, Adham Wanly, Seif Wanly et Wael Shawky.
Prenant appui sur de multiples productions plastiques et audiovisuelles, l’exposition reflète les nombreux aspects des villes-mondes d’Alexandrie et de Monaco en parvenant parfois à égarer le visiteur : sommes-nous au cœur de la frénésie monégasque, parisienne ou alexandrine ? Une exposition à ne pas manquer et qui préfigure de prochaines belles rétrospectives qui, souhaitons-le, seront signées Zamân Books & Curating.
Source : toutelaculture.com
Photo : Taher Sala, Gardienne de la mer (détail), 1952, huile sur bois, 47,5 x 40 cm ©MMZAYK, Emad Abdelhady